"Confinement : dans quelle grotte ?" un article de Anne Rainer
paru dans le n°128 de la revue Infos yoga

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18 avril 2020


Dans cette période de confinement qui perdure, trouvons-nous la force de réduire la vitesse de notre démarche, de s’éloigner les uns des autres, de lâcher ce qui remplit habituellement notre quotidienneté ?


Cette démarche de « retraite » loin du vacarme et de l’agitation du monde, de tout temps et de toutes traditions, des personnes en ont fait le choix. S’extraire et, à l’instar des fruits mûrs et juteux, extraire « son propre jus », goûter au nectar de la Présence qui n’est ni dans l’ailleurs ni dans le faire. Alors où (en) sommes-nous (pour ceux et celles qui ne sont pas dans certaines obligations avec l’extérieur) dans l’accueil de cette retraite imposée ?


Reconnaissons-nous, en nous-mêmes, quelques tendances boulimiques à la relation, à l’autre, à l’extérieur ? Est-il possible de « se poser » tranquillement dans nos maisons, dans sa maison, dans son chez soi ? Connaissons-nous quelques résistances à « revenir chez soi » ?


La parabole est tellement criante et évidente, celle de « l’éternel retour » énoncé dans les cheminements spirituels. Le gratifier d’honneur et de célébration nous aide peut-être : rejoindre le temple sacré du Soi, plutôt qu’un modeste « revenir à la maison ». Il n’y a guère de différence. Du dépouillement au fastueux, nous avons mille possibles pour accompagner intimement, dans une adéquation inébranlable, avec notre résonance profonde et singulière, ce geste de retour en soi. Pour les uns, le renoncement au monde matériel, le dépouillement le plus extrême sera la voie idéale : une grotte dans la montagne, une tente dans le désert, la cellule d’un monastère. Pour d’autres, le terreau favorable sera une visite au temple, la construction d’un palais ou d’une cathédrale comme miroir de leur propre splendeur. Et pour la majorité d’entre nous, reconnaître, qu’à cet instant, nous sommes géographiquement et physiquement juste posés, confinés dans nos maisons, ou appartements ou peut-être plus rarement, en bateau ou camping-car.


Effaçons… Cela même effaçons.


Il nous reste le corps physique, tel l’escargot ou la tortue, notre corps physique comme nouvelle demeure ? Et voilà que l’amusante ritournelle se réinvite ; mon corps petit et médiocre, mon corps vide ou plein, ou encore, mon corps spacieux et majestueux. L’antre ou le temple de mon Être. Qualifié, déterminé et formulé, oui, ou bien même, visualisé.


Effaçons… Cela même effaçons.


Devenons témoin vierge d’une nouvelle terre. Le territoire merveilleux, vaste et à explorer de l’intériorité. Que nous reste-t-il alors à effacer ?
Quels sont les sons, les images, les sensations ou autres manifestations qui siègent ou passent en cet espace ?


Effaçons… Cela même effaçons.


Quelle est la potentielle révélation qui nous attend et nous espère ? Quel est le trésor à découvrir qui vient animer, vitaliser, éclairer d’un sourire ce mouvement vers l’intérieur de nous-même, cette écoute ?
Rien ? Ou bien ? Un pressentiment, qui justifie ces termes : trésor, splendeur, lumière, vaste, etc. ? En vrac ; une ronde dansante, une guirlande joyeuse de flux, de couleurs, d’énergies, d’univers… L’infini Silence, enrobant, moelleux et vif à la fois, scintillant ?
Tous ces mots qui nous sont familièrement partagés et que nous énonçons parfois très sincèrement, au détour de confidences, d’allers retours dans le nulle part et au de-là.


Effaçons… effaçons encore.


Alors ? Osons-nous, ensemble, ce co-nfinement, ce grand voyage et ses probables vertiges depuis l’extérieur, l’autre, les relations, les bruits… vers l’abysse de l’intériorité, son paysage de Silence ?


« Y » suis-je ?
« Le » suis-je ?
« Infini Silence. »


Ce petit texte est né après quelques jours où macérait en moi un profond questionnement sur la frénésie apparente de proposer des cours de yoga en ligne pendant cette période de confinement.


J’interrogeais intimement pour, d’une certaine façon, offrir la parole au Silence intérieur, cela, et j’ai ainsi recueilli plusieurs hypothèses en réponse, ayant chacune leur raison d’être : la frénésie en tant que telle et son droit d’existence et de reconnaissance, la réponse à un besoin, une demande des pratiquants, le besoin d’accompagner des enseignants, se rassurer, éviter la faillite, partager… le besoin de maintenir le lien enseignant-pratiquant… et foison d’autres réponses que je n’exposerais pas. Ma situation professionnelle d’enseignante de yoga mise à mal (ou mise à bien ?), dans l’impossibilité de l’exercer comme à son habitude m’a rendue sensible et interrogative à ce sujet.


Devais-je absolument poursuivre autrement ? Et si oui, quels étaient le moteur, la source et l’Étais-je capable de me « retirer » de cela dans le prolongement du confinement imposé ou invité ?


Me vint l’envie d’en faire… ma sadhana ! en même temps que la mémoire d’une petite histoire : celle d’un maître et ses disciples. Il habitait en Inde dans les temps anciens. En voici un extrait :

- Souvenez-vous toujours que ce n’est pas ce que vous faites, mais la manière dont vous le faites qui est vital spirituellement.
Toutefois les disciples continuèrent de se plaindre, de ronchonner, de récriminer, de manifester leur ego.
Le Guru dit une nouvelle fois : « Que faites-vous ? », « Que dites-vous ? »
Tous parlèrent presque à l’unisson : « Vous êtes un maître parce que vous avez un ego. Si vous n’aviez pas d’ego, vous n’enseigneriez pas. »
La maître répondit, : « Non ! Non, vous ne comprenez pas. Je suis ici pour enseigner car, à mon sens, il importe que vous soyez enseignés, pas que vous soyez enseignés par moi ! »
Ils répliquèrent : « Vous plaisantez ! » et s’en allèrent se coucher.
Le lendemain matin, à leur éveil, ils trouvèrent la grotte vide. Pendant une semaine la grotte resta vide. Pendant un mois, la grotte resta vide. Une année s’écoula et la grotte était toujours vide. Tous moururent, se réincarnèrent à l’ashram du Guru et trouvèrent la grotte du Guru toujours vide…*


Alors sommes-nous capables de déserter nos propres grottes ? Effaçons, cela même effaçons.

Notes
Goswami Kriyananda « Le pouvoir des mantras » - CKYF éditions

L’auteure
Anne Rainer est diplômée de l’Ecole Française de Yoga de l’Ouest (Fédération Nationale des Enseignants de yoga) et transmet à Nantes un yoga traditionnel adapté à notre contexte occidental.