Extrait du numéro 122 qui paraitra à partir du  20/04/2018

Comment j’ai trouvé ma propre lumière

Muriel Joubert
Propos recueillis par Marie-José Mathieu

Infos Yoga : À travers votre livre « Comment j’ai trouvé ma propre lumière. Un autre regard », quel est votre principal témoignage ?
Muriel Joubert

Avant de parler de mon témoignage, j’ai envie de vous parler des retours des premiers lecteurs. Ils me disent que mon histoire les aide à relativiser leurs propres difficultés, que mon livre leur apporte de l’optimisme et de l’espoir. Ils me font souvent part, aussi, de leur émotion à la lecture du livre.

J’ai commencé à écrire en 2008, dans le cadre de ma formation à l’école de yoga, pour la rédaction du mémoire. Ma perte de vision s’est produite en cours de formation, alors ce thème-là s’est imposé de lui-même, comme une évidence. J’ai ensuite continué à écrire car cela me faisait du bien. C’était une écriture viscérale et organique, qui venait de mon ventre et de mon cœur. écrire de cette manière a été une sorte de thérapie.

En 2013, Maurice Daubard m’a demandé de donner une conférence sur mon vécu de personne déficiente visuelle, et sur ce que le yoga m’avait apporté. Après plusieurs années de conférences, j’ai sauté le pas en reprenant mes écrits pour en faire un livre. À ce moment-là, j’ai découvert quel était mon principal témoignage, qui est au fond tout simple : que les épreuves de notre vie peuvent devenir nos meilleures amies, ou en tout cas, nos meilleures conseillères, si l’on accepte de plonger dans l’expérience, à l’intérieur, et d’en ressortir. C’est un hommage rendu à la vie, vibrante dans son essence, qui mérite qu’on l’honore chaque jour, quoi qu’il nous arrive.

.
IY. : À l’âge de 27 ans, vous avez rencontré le yoga. Qu’en attendiez-vous ?
M.J. : Je travaillais en entreprise à Paris. Avec une collègue de bureau, au mois d’août, nous nous agacions fortement d’un énième mail de mon chef qui nous faisait suivre tout le travail à faire sans rien garder à son niveau. Bref… nous étions très en colère toutes les deux. À un moment, un éclair de lucidité est arrivé, et nous nous sommes dit que ce n’était pas possible de se mettre dans des états pareils à cause du comportement de notre responsable. Comme une boutade, en riant, nous avons dit : « on devrait se mettre au yoga ». Le soir même, en sortant du travail, un panneau d’affichage de l’entreprise annonçait la reprise des cours de yoga en septembre, le mardi midi. C’était un signe, nous nous sommes inscrites tout de suite ! J’ai donc démarré le yoga avec l’attente de ne plus me mettre « hors de moi » face au comportement de mon chef qui me surchargeait de travail. Les cours ont démarré, une heure par semaine avec une enseignante de l’ASPTT Paris : Marie-Rose Bardy, aujourd’hui Directrice de l’école de yoga Van Lysebeth. Le premier cours, j’ai senti un état indescriptible, de joie, d’énergie qui circule, de paix… Les mots sont maladroits pour en parler, mais en tout cas, j’ai tout de suite su que j’étais au bon endroit.

.
IY. : En parallèle à la pratique du yoga, vous avez mené une psychanalyse. Comment ces deux disciplines se sont-elles pénétrées ?
M.J. : La psychanalyse a été pour moi une étape nécessaire et complémentaire à mon cheminement dans le yoga. Elle m’a permis de réaliser les nettoyages préliminaires pour l’entrée en yoga. Je l’ai personnellement vécue comme les « lyings », une technique d’introspection spirituelle de Swami Prajnanpad, qui vise à purifier le psychisme des contenus émotionnels refoulés.
Le « hasard » a fait que j’ai démarré la formation à l’école Van Lysebeth en même temps que la psychanalyse. J’ai tout de suite senti que l’une renforçait l’autre. La psychanalyse a été un grand nettoyage des traces du passé qui m’enchaînaient : les mémoires et les « vâsanâs » - imprégnations subconscientes karmiques. Le yoga m’a permis d’approfondir ma psychanalyse en y rajoutant la dimension du corps. En effet, en psychanalyse, on laisse remonter les souvenirs pour aller à la racine du problème. Mais si le processus reste intellectuel, il ne se passe rien. On ne peut pas résoudre par le mental un problème ou un nœud qu’il a lui-même créé. C’est en plongeant dans les souvenirs qui remontent, et surtout dans la sensation et l’émotion associées, que je peux alors libérer cette énergie / émotion qui était bloquée. Plus j’accepte de me laisse traverser par ces émotions, sans en faire toute une histoire, plus je m’allège de ce passé douloureux qui m’enchaînait. Concrètement, pour moi, cela s’est traduit par une libération de la colère enfouie, et surtout de la tristesse. Je ne pensais pas que l’on pouvait avoir autant de larmes, et j’ai passé une bonne partie de ma psychanalyse à les laisser couler.

.
IY. : Vous dîtes : « le yoga est ma clef ! » Qu’a - t-il ouvert ? Quels en sont les éléments clefs pour vous ?
M.J. : Cette phrase m’est apparue en rêve. À ce moment-là, la clé (de ma chambre de l’école de yoga) m’a permis de retrouver mes esprits face à la peur du noir et face à l’obscurité en train de m’envahir. Rêve hautement symbolique, qui a eu lieu au moment où je perdais la vue, ou plutôt, je réalisais que je perdais la vue en sortant de mon long déni. Ce rêve m’a tout de suite mise sur la piste du yoga, comme cheminement vers des ressources insoupçonnées en moi, et comme voie vers la transformation et la libération.
Les éléments clés du yoga sont pour moi :
- Se construire, dans ce corps tel qu’il nous est donné. Prendre soin de notre corps, non pas comme une fin en soi, mais en tant que véhicule de nos expériences sur terre. En cela, tous les outils du yoga vont être employés.
- Une confiance profonde dans la vie, dans cette force qui nous accompagne si on arrive à s’y ouvrir et surtout à s’y rendre présent, dans « l’ici et maintenant ».
- Un contentement – le fameux Santosha des Yogas Sûtras de Patanjali – de tous les instants, quels que puissent être les événements que l’on traverse.
- Une désidentification : de notre corps physique, de nos émotions, de nos pensées, de nos croyances, de nos comportements, de nos peurs… De tout finalement, pour s’apercevoir au fond que nous ne sommes rien de tout cela.
- Un mûrissement du sentiment d’être. C’est une foi intérieure inébranlable, une part de nous-même qui sait qu’elle a quelque chose à faire ici, et qui va aller le chercher car il y a cette soif, une aspiration vers ce qui nous dépasse. Cela nous invite à vivre relié.

.
IY. : Le yoga peut-il libérer de la souffrance ?
M.J. : C’est une question épineuse, tellement le vécu des uns et des autres peut être différent à l’instant T. De mon vécu, je dis que oui, le yoga peut nous libérer de la souffrance. Savoir que cela est possible importe peu, ce qui compte, c’est d’en faire l’expérience. Les témoignages des autres êtres humains nous inspirent, et les grandes paraboles aussi. Moi, c’est cette phrase tibétaine qui m’a porté : « au cœur de la souffrance, tu trouveras l’enseignement ». Elle est arrivée dans ma vie alors que je souffrais énormément, à l’âge de 33 ans, où j’étais en pleine période de ténèbres avec ma perte de vision cumulée à un divorce. Cela m’a invitée à rêver à un autre chemin.
Je vais vous relater un échange récent à ce sujet, empli de vérité. Lors d’une conférence à l’Institut des Jeunes Aveugles de Toulouse, auprès d’un groupe de trente adolescents et jeunes adultes, tous en train de perdre la vue, nous avons discuté de l’importance de faire son deuil, d’accepter ce qui nous arrive pour pouvoir rebondir. Un élève m’a demandé si je pensais avoir fait mon deuil. J’ai bien réfléchi avant de répondre, surtout face à ce public, au moment où ils en sont de leur expérience douloureuse de la perte de la vue, voire inconcevable encore. J’ai connu ce moment, je l’ai vécu pendant des années. J’avais la conscience de la grande responsabilité de ma réponse. Pour savoir si j’avais fait mon deuil, j’ai interrogé mon corps et mon cœur, et j’ai alors dit que oui, je pensais avoir fait mon deuil. Comment je le savais ? Parce qu’au début, je ne pouvais pas parler de mon histoire sans avoir des tremblements dans la voix, ou des larmes qui venaient. Parce qu’aujourd’hui, je n’ai plus toutes ces sensations, et je me sens en joie quand j’échange sur mon expérience. Parce que j’ai le sentiment de m’alléger chaque jour un peu plus. Plus j’accepte ce qui m’arrive, plus la joie peut s’exprimer et la créativité arrive, des ressources insoupçonnées me sont données pour vivre tout cela.

.
IY. : « Avec le yoga, le mot santé prend un sens plus large », dites-vous. Pouvez-vous expliquer cela ?
M.J. : En Occident, nous considérons - culturellement – que la santé est un état opposé à la maladie. On est malade, on se soigne, et on retrouve la santé.
J’ai, depuis le début, été dérangée par cette définition, car j’ai été diagnostiquée à l’âge de 16 ans d’une maladie génétique évolutive, une rétinopathie pigmentaire, qui peut aboutir à une perte de vision totale, sans que personne ne puisse rien m’en dire. Et sans traitement connu à ce jour. Alors, étais-je condamnée à être éloignée de la santé ?
J’avais l’intuition que la santé, ce n’était pas cela. J’ai alors découvert le yoga. En sanskrit, la santé, c’est « Svastha », que l’on peut traduire par « ce qui est stable dans le soi » ou « être établi dans son propre soi ». Quel soulagement le jour où j’ai entendu mon professeur en parler ! Enfin la santé prenait un sens plus large, qui n’a rien à voir avec l’absence de maladie. Enfin, la voie de la santé s’ouvrait à moi ! J’ai cheminé dans cette direction, pour aller vers cette stabilité à l’intérieur. Cette recherche de la santé – dans son sens large - est devenue une vraie dynamique.
Pour la santé du corps, j’ai peu à peu mis en place une hygiène de vie, et j’ai expérimenté que stimuler ce qui allait bien permettait de tirer ce qui allait moins bien, ma vue en l’occurrence. J’en parle beaucoup dans mon livre car j’ai trouvé de nombreuses clés de vitalité que j’aime à partager. Et surtout le cheminement spirituel, comme voie de guérison, le chemin du cœur et de l’amour comme remède ultime.

.
IY. : Vous citez Sri Aurobindo : « Le centre de la vision est entre les sourcils, au milieu du front. Quand il s’ouvre, on obtient la vision intérieure… ». Quelle forme cela prend-t-il pour vous ?
M.J. : Un jour, lors d’un stage de yoga et méditation en Ariège, nous pratiquions « Trâtak » – focalisation du regard sur un objet - sur un mandala. Au bout d’un moment, j’ai vu apparaître une déesse derrière la forme géométrique. Je n’y croyais pas trop car je suis une personne qui a plutôt les pieds sur terre. Lorsque j’ai parlé de mon expérience à l’enseignante, elle m’a dit que j’avais perçu la forme derrière la forme, qui est effectivement contenue dans le mandala. C’est une forme de cette vision intérieure.
J’observe également que j’ai des perceptions différentes. L’intuition va guider ma vision, cela part de dedans pour aller vers le dehors, et pas l’inverse. Il est d’ailleurs très fréquent que parmi des voyants, je sois celle qui voit le plus de choses, malgré ma cécité quasiment totale, ce qui est plutôt paradoxal.
Mais attention, cela ne vient pas tout seul. Là encore, tout le yoga, les pratiques de concentration et méditation nous y amènent. Ceci dit, il n’est pas nécessaire de perdre la vision pour en retrouver une autre ! Pour preuve, nombre de personnes perdent la vue et ne développent pas ce type de perception. Et les grands sages, qui y voient bien, développent cette clairvoyance. Cela rejoint le yoga des yeux, qui est un véritable yoga, un art de voir, au-delà des apparences visibles à l’œil nu.

.

L’auteure
Directrice des Ressources Humaines en entreprise et enseignante de yoga, diplômée de l’école de yoga Van Lysebeth de Paris, Muriel Joubert est présidente de l’Association Yoga Midi-Pyrénées. Elle est déficiente visuelle, atteinte de rétinopathie pigmentaire. Elle est l’auteure de « Comment j’ai trouvé ma propre lumière. Un autre regard », paru aux éditions Amalthée en décembre 2018.