Par Marguerite Aflallo

Il y a déjà 12 ans que Marie-José et Mathieu nous pondent avec amour et quelques bonnes « prises de tête » cent bébés- yoga de papier, sous l'oeil « sthira-sukha » de Léo qui est à Mathieu ce que Milou est à Tintin.

Il faut dire que le meilleur (hum !) du monde du yoga s'est férocement battu pour avoir droit à quelques colonnes de parution.

Chaque fois et de façon impartiale, à la Salomon, Marie-José a tranché selon des critères impitoyables du genre « celui qui fait correctement tous les accords du verbe “avoir” emportera le morceau ».

Tout a défilé dans Infos Yoga. Tout s'y est écrit. Depuis les magistraux éditoriaux de Pierre Feuga, en passant par les cours pour enfants, ceux pour personnes âgées, les cours pour apprendre à se tenir debout, ceux où l'on analyse de façon tortueuse les postures les plus simples, et ceux où l'on reste couché en rêvant, comme Vishnu, aux mondes futurs.

Il y a eu les fondus du yoga-banquise, ceux des ashrams himalayens, et les comptes rendus des multiples colloques, rencontres, congrès ou kermesses yoguiques. Il y a eu les pros de la musique indienne, ceux de la danse, ceux du positionnement des doigts, les accros des swamis à robe orange et les adorateurs de ceux à robe jaune.

Pêle-mêle, nous avons étudié les sûtras de Patanjali, les uns pour les encenser, les autres pour les détracter, frémi aux récits tirés du Mahâbhârata, ricané devant les absurdités média- tiques du bêtisier, et mûrement médité les pensées mi-zen, mi-soufies et mi-matoises de Léo. Nous avons eu droit à des visites guidées de temples tout droit sortis du « Tigre du Ben- gale » (1), et des Kumbha Mela d'enfer avec leurs saddhus allumés aux pétards de cannabis.

Il y a eu aussi toutes ces rubriques nécrologiques qui nous montrent douloureusement que, contrairement aux apparences, même les yogis sont mortels. Et tous ces magnifiques mandalas, et toutes ces belles illustrations transformant en bijou précieux l'article le plus ordinaire.
Dans ces pages, y ont écrit les tantriques, les védantins, les agnostiques de la main droite et les illuminés du fond du couloir à gauche. Les uns méprisant les autres et les autres ricanant devant les angoisses de tout le monde.
Il y a eu les confidences de ceux qui ont tout reçu de leur guru, ainsi que le diplôme qui va avec, et ceux qui se demandent ce qu'ils font dans cette galère qui les pousse, bon vent mauvais vent, d'une rive à l'autre.

Au tout début d'Infos Yoga, avant que Mathieu ne prenne les commandes, c'était une revue appliquée, de bonne tenue, avec cette légère austérité garante du sérieux de ses propos. Puis le numéro 36 a fait éclater la couleur. Un parfum des années fleuries « Peace and Love » s'est alors introduit dans ces pages, comme un souffle de liberté adolescente qui aurait perduré dans la maturité.

Pour illustrer les postures nous avons même eu droit à une splendide créature virtuelle, fessue et mamelue à souhait, issue des rêves masculins les plus fous. J'aimais bien voir cette Urvashî (2) des temps modernes qui nous rappelait que même les « apsaras » (3) peuvent pratiquer le yoga, et pas seulement les gens simples et ordinaires comme vous et moi. Elle n'a, hélas, pas résisté à une levée de boucliers puritains qui l'a renvoyée dans les limbes du paradis d'Indra. Car même dans le monde du yoga, on ne plaisante pas avec les censeurs de tout poil.

Voilà une revue unique et pleine de sève où toutes les voix écrites s'entremêlent sans cacophonie.
Une revue à laquelle on espère que les lecteurs vont être attentifs, indulgents et nombreux à faire leur miel des articles proposés.
Une revue qui, petit à petit, est devenue prégnante pour beau- coup d'entre nous, car ses cent numéros illustrent la multipli- cité du yoga, sa vitalité, sa solidité et sa joie.

Enfin, que dire d'autre quand on est centenaire sinon : “Champagne pour tout le monde!”

Notes :

(1) Avec “le Tombeau hindou”, films très kitschs de Fritz Lang.

(2) Urvashî est la plus belle des « apsaras ». Elle est issue du barattage de la Mer de Lait primordiale. Dans le Mahâbhârata elle tente de séduire Arjuna, exilé dans l'Himalaya et s'adonnant à d'extrêmes austérités. Face à son refus, elle lui lance une malédiction qui va le transformer en eunuque. Quand Arjuna ira chez son père Indra pour apprendre le maniement des armes divines, celui-ci fera en sorte que la malédiction ne dure qu'un an. Pour compléter son éducation, Urvashî, en compagnie des “gandharvas”, lui apprendra les arts de la danse et du chant. Les Gandharvas sont le pendant masculin des apsaras. Ils sont de redoutables guerriers tout autant que de parfaits danseurs et musi- ciens. Comme les apsaras, ils habitent le paradis d'Indra.

(3) Les Apsaras sont des créatures « autres ». Très belles, elles sont souvent envoyées par les dieux pour troubler et dévoyer les ermites et les saints hommes qui, par leur ascèse, risquent de rivaliser avec eux. On peut traduire « apsara » par « fée » ou “nymphe”.