Voici un extrait de l'article de Colette Poggi, paru dans le numéro 106 de la revue Infos Yoga.

Parole, saveur, mémoire : vâc, rasa, smriti
Trois notions-clefs au cœur
de la littérature épique indienne

Colette Poggi

L’Inde est riche d’une antique tradition orale infiniment diverse, qu’il s’agisse de textes sacrés
tels les Veda ou d’œuvres littéraires comme les poèmes épiques connus sous les noms de Mahâbhârata ou de Râmâyana. Situés généralement entre 400 av. n. è. et 200 de notre ère, ces monuments de la littérature indienne continuent de passionner aujourd’hui tous les hindous, comme s’ils demeuraient à jamais contemporains et que la présence de héros et héroïnes continuait de peupler leur existence, leurs fêtes, leur univers onirique, leur imaginaire.

Ils ne cessent de sculpter une mémoire partagée donnant vie et couleur au dharma,
la loi socio-cosmique du bon ordre des choses :

« Telle est l’essence du dharma : ne fais pas aux autres ce qui te causerait de la peine »
(Mahâbhârata, V.15, 17).

Pour le philosophe médiéval du Cachemire Abhinavagupta, les épopées se caractérisent par « ce charme puissant grâce auquel s’infuse dans le cœur des gens simples les préceptes sur la conduite à tenir (figurée par Râma) et celle à rejeter (incarnée par Râvana). » Abhinava- Bhâratî - glose du Natya Shâstra IV.263.

Les innombrables œuvres composant la littérature orale de l’Inde sont peuplées d’hommes mais aussi de dieux, de démons, et accordent la parole aux animaux, aux végétaux, aux grands éléments, océan, terre, vent…

Chaque texte, à sa manière, est véhicule d’une « parole » (vâc) vivante, douée d’une saveur (rasa) spécifique, et transmise d’âge en âge, grâce à un tissage (tantu *) de mémoire (smriti). La tradition orale, transmise de maître à disciple, de conteur à auditeur, forme ainsi le creuset d’une culture tout à la fois enracinée dans un cadre mythologique immémorial et sans cesse revivifiée par l’inventivité de ses acteurs.
Cette transmission vivante est toujours sensible dans les villages, les temples, les ashrams, pour la danse, la musique, le yoga, la philosophie, etc.

Si, en Inde comme ailleurs, tout art doit son existence à une mémoire partagée et fécondée par la créativité, il faut reconnaître le statut original accordé à la parole, depuis le Veda, dans le pays de Bhârata**.

Ces trois notions-clefs de la littérature épique indienne, parole-saveur-mémoire, cachent une immense richesse d’intuitions imagées qui ne se révèle qu’en allant au cœur des mots sanskrits et des traités. Souvent surprenantes pour celui qui en entend parler pour la première fois, ces idées conquièrent aisément par leur simplicité et leur profondeur si on les reçoit sans préjugé.

[...]
* Tantu : le tissage dans son énergie dynamique, non en tant qu’objet inerte.
** Bhârata : l’Inde, du nom de l’ancêtre mythique Bharata.

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